Promised Land

de Gus Van Sant,
2013,
avec Matt Damon, Frances McDormand, John Krasinski…

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★★★☆☆

L’Amérique oubliée

 Chaque film de Gus Van Sant est un évènement (Will Hunting, Elephant…), bien souvent adulé par la critique et accompagné de récompenses (Palme d’or à Cannes en 2003 pour Elephant). Promised Land s’inscrit dans la lignée de Harvey Milk, un film qui marqua la carrière du réalisateur. En effet, depuis 2008, date de sortie d’Harvey Milk, le cinéaste a rompu avec son style un peu trash (Psycho ou Elephant par exemple) et s’est tourné vers des genres plus accessibles au grand public, comme le biopic ou la comédie dramatique. Promised Land pourrait quant à lui être catégorisé en tant que documentaire dramatique américain et écologique à visée militante – enfin sur le papier. Car, et c’est là le talent de Gus Van Sant, il parvient à faire d’un film, assez quelconque à première vue, un long-métrage stylisé, se démarquant de la traditionnelle comédie dramatique américaine.

 On suit ici le personnage de Steeve (M. Damon), un représentant de Global, une compagnie énergétique multimilliardaire. Steeve, accompagné de Sue (F. McDormand), se rend dans une petite ville de campagne américaine afin d’en exploiter les ressources de gaz de schiste. L’investissement semble profiter à tous : la ville pourrait retrouver son dynamisme d’antan, les paysans devraient devenir aussi riches que les citadins et la compagnie, bien évidemment, trouverait elle aussi son compte, grâce à la revente du gaz de schiste. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Un vieil homme, respectable et respecté, critique publiquement la méthode d’exploitation, affectant, entre autres, l’environnement et les êtres vivants. De nombreux habitants le suivent et, dans un élan populaire, se mettent à contrarier le projet. Les choses se compliquent lorsqu’un militant écologiste débarque en ville et commence à étaler des preuves irréfutables concernant les risques d’une telle exploitation…

 On est ici bien loin du scénario dramatique et grave d’Elephant. Ce long métrage de Gus Van Sant, qui n’est d’ailleurs pas vraiment le sien mais plutôt celui de Matt Damon, contraste réellement avec la filmographie du cinéaste. Promised Land a tout du drame hollywoodien des années 2000’s : un héros sympathique, attachant et rebelle, de méchants industriels et une vilaine associée, une histoire d’amour partagée entre drague, jalousie et rivalités et enfin une fin américaine (tout le monde est finalement heureux dans le meilleur des mondes). De plus, Promised Land semble ouvertement écologiste, un mouvement en constante extension aux Etats-Unis. Matt Damon et Gus Van Sant sont d’ailleurs deux fervents partisans de l’écologisme, ce qui rajoute une dimension militante (tournure en générale ridicule dans le cinéma hollywoodien) – sur le papier, encore une fois.

 Car ce que Gus Van Sant nous propose, dans Promised Land, diffère, par son style, le point de vue qu’il adopte, de la comédie dramatique hollywodienne. Premièrement, chose rare, on se place du côté des méchants, alors que d’habitude, le cinéma américain se place du côté des victimes. D’autre part, notre héros, Steeve, est plus perdu qu’autre chose. Sa rébellion contre le système, ou plutôt l’industrie, n’est qu’apparente, le personnage de Matt Damon étant plus dans l’ignorance qu’autre chose.  Un peu trop niais – certains préféreront le terme idéaliste – Steeve croit vraiment que Global, une entreprise multimilliardaire ne visant que le profit, veut venir en aide aux populations rurales. Par ailleurs, ajoutez que  Promised Land, en plus d’adopter un point de vue original, révèle une face sombre, cachée des Etats-Unis : la crise dans l’Amérique rurale. Gus Van Sant utilise le prétexte du gaz de schiste pour aborder un problème bien plus grave, celui de la misère de l’Amérique profonde. Désindustrialisation massive, isolement, déconnection du système vis-à-vis des transports et des réseaux, pauvreté matérielle et culturelle… Le cinéaste filme un monde perdu, une société renfermée sur elle-même et volontairement exclue de l’économie. La population, par la désindustrialisation mais aussi par leur immobilisme, s’est empêtrée dans cercle vicieux qu’ils ne contrôlent pas (on se rend vite compte que c’est Global, c’est-à-dire l’argent, qui tire les ficelles dans la région, et ailleurs). Gus Van Sant décrit donc, avec Promised Land, la détresse de l’Amérique rurale, laissée à l’abandon dans une misère matérielle et culturelle.

 Promised Land, et son double engagement, écologique et social, séduira facilement les spectateurs, grâce au constat, attristant et alarmant, qu’il livre. Stylisé par un cinéaste de talent, le film est agréable à regarder même si on aurait pu attendre un peu plus de la part d’un Gus Van Sant. On note quelques jolies trouvailles cinématographiques, comme la métaphore de l’eau dans l’évier, au tout début et à la fin du long-métrage. La prestation des comédiens est correcte mais aucune ne parvient à se faire remarquer. Cependant tous ces petits défauts énoncés à la suite peuvent être justifiés par l’aspect réaliste du film, proche du documentaire par moments. Par contre, on ne peut que blâmer Gus Van Sant pour sa happy-end à l’américaine, une fin tout simplement insupportable par sa niaiserie et son irréalisme. Dommage, car arrêter Promised Land au dernier retournement de situation aurait largement suffi, et fait de ce long-métrage un film remarquable.

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playlist #7

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Get Lucky – Daft Punk
Breezeblocks – Alt-J
Glod on the celling – The Black Keys
Crystalised – The Xx
She’s a Rainbow – The Rolling Stones
Heroes – David Bowie
Back Door Man – The Doors
Monkey gone to Heaven – The Pixies
Lithium – Nirvana
Genesis – Justice
1986 – Kavinski
Voyager – Daft Punk
La Morale – Orelsan
Pam Pa Nam – Oxmo Puccino
Jeunesse lève-toi – Damien Saez

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Seven

de David Ficnher,
1995,
avec Brad Pitt, Morgan Freeman, Kevin Spacey… 

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Vivre est péché

 Les temps changent. « Le cinéma d’auteur est mort », affirme David Lynch, dans une interview donnée aux Inrocks. Les cinéastes « hors-normes » délaissent progressivement Hollywood, qui ne jure plus que par les blockbusters à suite. Ainsi des réalisateurs, Spielberg ou Scorcese pour ne citer qu’eux, se sont tournés vers le petit écran. C’est également le cas de David Fincher, dont la série House of Cards, sortie cette année, cartonne aux Etats-Unis et devrait connaître le même succès en Europe.

 David Fincher fut d’ailleurs, dans les années 90’s, l’un des emblèmes du grand Hollywood, celui qui n’hésitait pas à promouvoir des films originaux, novateurs alliant audace et profit (les premiers Tim Burton, les méga-productions de Spielberg, les longs-métrages de Scorcese ou Coppola…). Effectuons donc un retour en arrière et arrêtons-nous sur Seven, la seconde réalisation de David Fincher et, avant tout, l’un des meilleurs films de cette décennie.

 L’inspecteur Mills (B. Pitt) est muté dans une grande ville, probablement New York ou Los Angeles, afin de remplacer l’inspecteur Somerset (M. Freeman), proche de la retraite. Ce dernier doit, au cours de la dernière semaine de sa carrière, apprendre les bases du métier au petit nouveau, à travers une énième affaire. Mais cette enquête, qui paraît n’être qu’un simple homicide, se révèle vite comme étant la première étape d’une sorte de machination criminelle. Les deux inspecteurs se rendent rapidement compte que le tueur est un serial-killeur, sadique et mégalo, mais également déterminé et rigoureux. Sur les lieux du premier crime, Somerset découvre une inscription, « Gourmandise ». Les enquêteurs comprennent alors le sens de cette folie meurtrière : l’homme se donne pour mission de punir sept personnes, toutes coupables d’avoir commis un des sept péchés capitaux.

 Thriller psychologique, Seven plonge le spectateur dans une angoisse permanente, un mélange d’horreur, de suspens et de démence. L’atrocité des cadavres en répugnera certainement plus d’un. On trouve de tout dans la criminalité monstrueuse de ce serial-killeur : mutilation, sadisme, torture… et j’en passe. Fincher met le spectateur à l’épreuve dans son long métrage. Deux heures d’angoisse, où la peur nous attend à chaque scène, où la folie meurtrière grimpe en crescendo. Retournements de situations, courses-poursuites, indices de dernière minute… Fincher, en véritable maître du suspens, reprend tout les ingrédients susceptibles de faire douter, et d’effrayer, le spectateur. Chaque passage, chaque réplique, a son importance, le cinéaste ne néglige aucun détail et cela aboutit à une œuvre, cinématographiquement, monstrueusement réussie, par l’horreur, l’angoisse qu’elle crée.

 Mais plus qu’un excellent thriller psychologique, Seven regorge de trouvailles, d’allusions à des sujets multiples et variés. Plus qu’une banale investigation de deux enquêteurs, Seven expose la confrontation entre deux visions du monde, celle de l’inspecteur Mills et celle de l’inspecteur Somerset. L’un est jeune, il croit encore à la justice, à la bonté d’un monde où le courage et l’amour suffisent pour réussir. L’autre est désabusé, ne se fait plus d’illusion sur une société rongée par le conformisme, la lâcheté et l’injustice. Le troisième, je parle du meurtrier, voit la vie comme un enfer, où le péché foisonne, se propage à chaque coin de rue. Il rêve d’une gloire future, il souhaite que son « œuvre », ses horribles meurtres, soient reconnues comme juste plus tard, dans une société qui ne connaîtra plus le vice.

 Fincher, en plus de livrer trois visions de la vie, développe, à travers Seven, son point de vue, ce qu’il pense de la société américaine. Une société individualiste, incapable de voir qu’un homme marche au milieu de la foule, le t-shirt trempé de sang. Une société avide, où l’on se contente de récupérer l’argent sans poser de questions. Une société démente, où seul un psychopathe mégalomane paraît rationnel, réfléchi. Une société de consommation, où l’on consomme jusqu’à en devenir obèse ou matérialiste. « L’amour, ça demande des efforts, du courage », ce que l’homme d’aujourd’hui, paresseux, ne possède pas. « Les gens ne veulent pas des héros, ils veulent manger des cheeseburgers, jouer au loto et regarder la télé ». Ces deux phrases, sorties de la bouche de Somerset, résument assez bien le point de vue de Fincher. Somerset qui, soit-dit-en-passant, peut être assimilé à une sorte de dieu Grec, regardant le temps passer, les actions s’enchaîner, tout en se contentant de commenter, sans jamais intervenir.

 Succès critique et public, lors de sa sortie il y a une vingtaine d’années, Seven impressionne par sa critique, intemporelle, de notre système. Critique que Fincher poursuivra à travers Figth Club notamment. En plus de ce constat amer sur notre société, Seven nous livre une enquête, un thriller parfait. Suspens, angoisse, interrogation, horreur… le film nous offre le meilleur du thriller psychologique. Assez méconnu, David Fincher, comme il le montra avec Seven, mais aussi avec Figth Club, The Social Network ou L’étrange histoire de Benjamin Button, est un cinéaste de talent, alliant audace et accessibilité. Chacun de ses films nous transporte dans un nouvel univers, à chaque fois parfaitement maitrisé et d’une rare qualité cinématographique. 

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L’écume des jours

de Michel Gondry,
2013,
avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy…

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★★★☆☆

Délire poétique ou bad-trip cinématographique ?

 Grand admirateur de Boris Vian, et de son roman L’écume des jours, j’attendais avec impatience cette adaptation cinématographique, signée Michel Gondry. D’autre part, la bande annonce était prometteuse, affichant une pléiade d’acteurs reconnus (Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh, Alain Chabat…) et rythmée au son de Woodkid. Réputée inadaptable, l’œuvre de Boris Vian, qui décrit une sorte de rêve romantique dans un Paris imaginaire, semblait être un nouveau défi pour Michel Gondry, réalisateur, entre autres, de The We and The I (et, anecdote inutile, des pubs Nespresso avec George Clooney).

 Le cinéaste français avait deux options pour tourner L’écume des jours : soit Michel Gondry tentait de rester fidèle au roman de Vian (chose extrêmement difficile quand on voit la complexité artistique de l’œuvre), soit il partait dans un délire cinématographique, guidé par son imaginaire et celui du livre (solution assez casse-gueule elle aussi, il faut l’avouer). Heureusement, il opta pour la deuxième solution. Le réalisateur garde néanmoins l’intrigue du roman –  faut-il vraiment vous la résumer ? Bon, c’est d’accord. Colin et Chloé tombent amoureux, ils se marient, Chloé tombe malade, Chloé meurt, Colin est triste pour toujours. Entre temps, Chick, un ami de Colin et fanatique de Jean-Sol Partre (je vous laisse le de deviner le jeu de mots), a rencontré Alise, nièce de Nicolas. Nicolas est le cuisinier (« et l’avocat et le maître à penser ») de Colin, il collectionne les conquêtes féminines, tout en aimant Isis. Maintenant, soit vous relisez attentivement ce résumé plus que simpliste, soit vous allez sur Wikipédia, soit vous lisez l’œuvre de Boris Vian. Enfin bref, ou en étions-nous ?

 Ah oui, nous disions que Michel Gondry gardait le fond de l’œuvre (l’histoire, les personnages etc.), mais en personnalisait la forme. Ainsi, le cinéaste nous livre sa vision de la romance entre Colin et Chloé. Il filme un monde poétique où tout prend vie, de l’objet le plus insignifiant, une chaussure par exemple, jusque des choses « déjà vivantes », comme la main de Chick ou la nourriture. Dans un premier temps éclatant, ce cadre imaginaire perd, au fil des minutes, ses couleurs pour virer, à la toute fin du long-métrage, au noir et blanc (de la même manière que la maison de Colin qui, dans le roman de Vian, se rapetissait au fil des pages). L’écume des jours se déroule dans un univers surréaliste et poétique : plus rien ne paraît réel, aucune scène n’est prévisible, certain personnages semblent venir d’ailleurs, prenons le cas de Chick, brillamment interprété par Gad Elmaleh.

 Mais cette poésie cinématographique aurait pu en rester à ce stade simpliste, grossier voire ennuyant pour certains. Avec bonheur, Michel Gondry ne s’en est pas contenté. En effet, loin d’être niais, l’imaginaire de Gondry vire, plus d’une fois, au glauque, au morbide. Le cinéaste filme, avec une banalité déconcertante, un massacre, un scalp d’œil ou encore un bain de sang. Le réalisateur donne également énormément d’importance au corps, qu’il filme souvent et sous tous angles, extérieurs, ou intérieurs. Cet aspect malsain de l’œuvre de Vian, très peu évoqué dans L’écume des jours, se retrouve cependant dans ses autres romans, par exemple dans J’irai cracher sur vos tombes. Michel Gondry a donc choisi d’adapter l’œuvre, dans son ensemble, de Boris Vian plutôt que de s’attarder uniquement sur le seul roman L’écume des jours.

 Malheureusement, l’adaptation de Michel Gondry n’est pas parfaite et s’en tire avec quelques bémols. Le jeu des acteurs laisse à désirer, Charlotte Le Bon, en Isis, ou Aïssa Maïga, interprétant pourtant des rôles assez importants, ressemblent davantage à des figurants qu’à des acteurs de second rôle. Même les têtes d’affiche, Romain Duris et Audrey Tautou, loin de livrer une performance catastrophique, ne surprennent pas, ils se contentent d’être là, de jouer ce que leur demande Gondry, et rien de plus. De plus, l’accumulation d’effets cinématographico-poétiques peut en agacer plus d’un. Certains verront cette accumulation comme une grande superposition de trucs inutiles, tandis que d’autres la verront comme une addition de « produits artistiques tape-à-l’œil ».

 L’écume des jours fait partie de ces films, qu’on pourrait catégoriser comme personnels, dont le jugement variera d’un extrême à l’autre, selon les personnes. Rarement mitigés, les avis exprimeront soit un rejet pur et simple d’un tel délire artistique, soit l’admiration d’une si belle poésie cinématographique. Mais parlons des généralités. On notera les interprétations de Gad Elmaleh et Omar Sy, surprenantes et réussies. On retiendra aussi les quelques trouvailles stylistiques, comme le déclin des teintes, virant du coloré au noir et blanc. Enfin, on se souviendra que Gondry a modernisé l’œuvre de Vian, dont la dernière adaptation datait de 1968 et n’avait pas récoltée d’excellentes critiques. Bref, au final, je vous conseille d’aller voir L’écume des jours, ne serait-ce que pour l’histoire d’amour de Colin et Chloé.

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Boardwalk Empire

de Terence Winter,
2010,
avec Steve Buscemi, Michael Pitt, Kelly Macdonald…

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Scorcese, sur petit écran

 Boardwalk Empire est une série « made in HBO », adulée par la critique américaine, coproduite par Martin Scorcese et ayant pour acteur principal un comédien de renommée internationale, j’ai nommé Steve Buscemi. HBO n’est autre que la chaîne référence en matière de créations télévisuelles (Rome, Sex and the City ou, plus récemment, Game of Thrones). La critique américaine dicte, en général, au reste du monde «LE produit culturel à suivre pour les prochaines semaines ». Martin Scorcese n’est plus à présenter (Taxi Driver, Gangs of New York, Hugo Cabret…). Et enfin, Steve Buscemi, méconnu du grand public mais admiré par nombre de cinéphiles, a, entre autres, jouer pour Tarantino, les Frères Coen ou encore prêté sa voix aux studios Pixar. Bref, Boardwalk Empire avait toutes les clés en main pour devenir une série culte.

 Terence Winter, le réalisateur, a pris pour cadre la joyeuse Atlantic City, le Las Vegas de la côte est, comme le surnomme les américains. L’action se déroule dans les années 20’s, en pleine prohibition. Le maire d’Atlantic City, Enoch Thompson, se lance dans le commerce, illégal, d’alcool – un business essentiel pour une ville de débauche, et pour la fortune du maire. De nombreux personnages, auquel la série s’attache plus ou moins, sont associés au trafic de loin ou de près. Ainsi l’histoire s’attarde sur Elias Thompson, le chef, corrompu, de la police d’Atlantic City, et le frère du maire, ou bien James Darmody, un jeune homme qui, à peine revenu de la Grande Guerre, se lance dans le commerce.

 De manière générale, Boardwalk Empire est une excellente série. Tout les ingrédients nécessaires sont réunis : des personnages tous reliés entre eux d’une manière ou d’une autre, possédant des traits de caractères à la fois ambigus et attachants, une intrigue bien ficelée avec des retournements de situations et des rebondissements à la fin de chaque épisode, une ambiance réaliste… Boardwalk Empire repose énormément sur son personnage principal, heureusement incarné par un acteur génial, Steve Buscemi. C’est lui qui lie, plus ou moins, tous les personnages entre eux, grâce au trafic d’alcool qu’il met en place. Enoch aura d’ailleurs, comme de nombreux personnages, une histoire d’amour, élément incontournable pour n’importe quelle série télévisée. Terence Winter, qui a donc collaboré avec le grand Martin Scorcese, rend finalement une intrigue extrêmement bien montée, superposant les affaires des uns, avec celles des autres, tout en les liants. Enfin, Boardwalk Empire impose un style, ou plutôt une ambiance, inédite et novatrice : celle d’une Amérique vive, colorée, sous la prohibition, une période filmée, habituellement, d’une manière assez sombre

 Mais, en plus d’être une série de qualité, Boardwalk Empire a le mérite de développer certains problèmes occidentaux contemporains, tout en les transposant dans l’Amérique des années 20’s. La corruption, symbolisée par la ville d’Atlantic City, est présente à tous les niveaux : politique, police, monde des affaires… La série insinue, haut et fort, que tous les hommes de pouvoir sont des « pourris ». Quand on voit, actuellement, le rejet du monde politique en Europe, on se dit que Boardwalk Empire traite de problèmes contemporains. La série aborde également un tabou de nos sociétés, les liens étroits entre sexe et pouvoir. La liaison amoureuse du maire en est la parfaite représentation. Boardwalk Empire retrace également les problèmes des années 20’s (bien qu’ils persistent encore aujourd’hui mais nettement moins qu’auparavant)  comme l’intolérance, envers les noirs, et surtout les femmes, ou bien les clivages sociaux, affichant deux aspects de la société : l’un puritain (le commissaire à la prohibition) et l’autre libre, voire débauché (Atlantic City).

 Boardwalk Empire évoque donc, à travers l’Atlantic City des années 20’s, la décadence de notre société, « propre » de loin mais corrompue quand on y regarde de plus près. L’omniprésence de l’argent, tous les problèmes en découlent, du sexe et de la violence, ajoute une couche, péjorative, supplémentaire à la représentation de notre société. Cette violence, assez marquante tout de même, on pense par exemple au lynchage, à la noyade etc., trouve son inspiration dans l’œuvre de Scorcese. On a d’ailleurs l’impression d’assister à douze courts-métrage du réalisateur américain, tant l’ambiance, les thèmes ou même les personnages ressemblent à ceux des films du cinéaste. La série de Terence Winter avait tout pour réussir. Et elle en a profité, Boardwalk Empire est une œuvre télévisuelle tout simplement exceptionnelle.

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Les Gamins

d’Anthony Marciano,
2013,
avec Max Boulbil, Alain Chabat, Sandrine Kiberlain…

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★★★☆☆

Judd Appatow… made in France

 Premier « grand rôle » pour Max Boulbil, la référence, avec Rémi Gaillard, du net français. Avec un peu plus de cent millions de vues totalisées sur sa chaîne You tube, on devait, un jour, s’attendre à voir débarquer ce chanteur-comique sur le grand écran. Après plusieurs rôles secondaires (La Vérité si je mens 3, par exemple), Max Boulbil se voit porter en haut de l’affiche, pour une comédie, signée Anthony Marciano, où il partage la vedette avec Alain Chabat.

 Anthony Marciano, pour son premier long-métrage, raconte l’histoire de Thomas (M. Boulbil), un jeune guitariste un peu perdu. Lors d’un mariage, il rencontre Lola (M. Bernier) et c’est le début d’une grande histoire d’amour (que c’est mignon). Après une demande en mariage rocambolesque, Lola décide de présenter Thomas à ses parents, interprétés par Alain Chabat et Sandrine Kiberlain. Et là démarre une seconde grande histoire, d’amitié cette fois-ci, entre Thomas et son beau-père. Ce dernier, en pleine crise de la cinquantaine, laisse son mariage, et toute sa vie, en plan et retombe en adolescence. Il convainc Thomas de le rejoindre dans sa débauche et les deux hommes, redevenus célibataires-musiciens-dragueurs etc., accumulent les excès.

 Excellente comédie française, Les Gamins, reprenant les éternels thèmes de la confrontation, puis de la réconciliation, homme/femme ou encore des crises d’adulescence, parvient néanmoins à se démarquer du genre, en s’inspirant notamment de la comédie américaine, et de son maître, Judd Appatow. En effet, de nombreux gags sont basés sur le sexe, principal humour de la comédie hollywoodienne actuelle. Certains passages sont d’ailleurs mémorables, on pense principalement à la scène hilarante du sperme dans la salle de bain, et se réfèrent directement aux classiques de l’humour « dévergondé » américain. D’autres scènes laissent place à un comique de mot plus cru, guère utilisé dans le cinéma français.

 Les acteurs, fait rare dans une comédie française, maîtrisent tous leurs personnages, en évitant le surjeu ou l’interprétation trop sérieuse. Le tandem Boulbil/Chabat fonctionne à merveille, le spectateur rit dès le début de leur rencontre et aucune blague ne semble de trop. Les seconds rôles sont également marquants, on peut penser, par exemple, au personnage de Suzanne, une hippie humaniste et écologique, remarquablement interprété par Sandrine Kiberlain. Arié Elmaleh, qui incarne un bobo parisien bossant dans la musique, joue juste lui aussi tout comme Kheiron, irrésistible dans son rôle de diplomate iranien.

 Néanmoins, Les Gamins n’est pas irréprochable et on note quelques soucis, loin de nuire à la qualité humoristique du film, mais tout de même. On peut déjà noter la prestation, ratée de Mélanie Bernier, exaspérante et insupportable par sa niaiserie surjouée. De manière générale, Les Gamins ne se préoccupe pas beaucoup de l’image féminine, dévalorisée et mise de côté par le réalisateur. On pourrait presque même dire qu’Anthony Marciano nous livre une comédie masculine, en grande partie fondée sur un humour « bof » (sexe, gros mots etc.). Enfin, il manque une morale. Trop peu développé, cet aspect moralisateur, si important dans les comédies américaines, est absent dans ce film qui, du coup, restera marqué comme simple comédie humoristique française.

 Mais, ne concluons pas cette critique de Les Gamins sur une note aussi négative. Le long-métrage, clairement influencé par Appatow&Cie, répand une bonne humeur et une joie de vivre que seules les comédies humoristiques peuvent donner. Les Gamins vous fera rire pendant près d’une heure et demie, et on ne demande pas plus d’une comédie.

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Jackie Brown

de Quentin Tarantino,
1998,
avec Pam Grier, Samuel L. Jackson, Robert De Niro…

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Tarantino et le genre féminin

 Jackie Brown est le troisième long-métrage de l’œuvre cinématographique de Tarantino, une saga comportant, entre autres, Inglorious Basterds, Kill Bill ou encore, plus récemment, Django Unchained. Alors que les deux précédents films, Reservoir Dogs et Pulp Fiction avaient pour personnages principaux des hommes (quoi qu’Uma Thurman ait un rôle prépondérant dans Pulp Fiction), celui-ci conte l’histoire de Jackie (Pam Grier), une femme afro-américaine.

 Jackie, 44 ans et employée comme hôtesse de l’air dans une compagnie aérienne minable, semble mener une vie tout à fait banale. Mais un soir, en quittant le travail, elle se fait contrôler puis arrêter par la police pour transport d’argent illicite et détention de drogue. On découvre vite qu’elle travaille pour un trafiquant d’armes, Ordell (Samuel L. Jackson), un petit caïd se prenant pour un truand international et dont les soucis s’accumulent de jour en jour. Jackie décide alors de mener un double jeu, d’embobiner la police et Ordell, et de filer avec un demi-million de dollars, qu’elle a promis de rendre à la fois au trafiquant et aux policiers.

 Avec Jackie Brown, Quentin Tarantino signe un nouveau film de gangsters, même si ce dernier se démarque des autres. L’héros, ou l’héroïne donc, est une femme, une première dans l’œuvre du cinéaste qui avait confié ses premiers grands rôles exclusivement à des hommes (Tim Roth, John Travolta, Bruce Willis…). Tarantino continue de démystifier le gangster américain, cette fois-ci à travers le personnage de Robert De Niro, un ex-taulard ignorant et stupide, associé à Ordell. Moins rythmé que Pulp Fiction, Jackie Brown semble du coup plus long que son prédécesseur. La faute à quelques discours, peut-être en trop, et au montage, allongeant certaines scènes et laissant ainsi quelques « blancs », des passages où aucun personnage ne parle et où l’intrigue n’avance pas.

 Néanmoins, Jackie Brown diffère nettement de Pulp Fiction et de Reservoir Dogs quant au style imposé. Toujours dans l’esthétique tarantienne (couleurs flash, bande-son pop, omniprésence du sang, etc.), le film évoque cette fois une certaine ambiance reggae, ensoleillée et décontractée, voire lente même par moments, comme il est expliqué un peu plus haut. De plus, alors que les deux premiers films du cinéaste américain traitaient plus spécialement de gangsters blancs, celui-ci affiche deux nouveaux « types de truand » : les noirs et les femmes. Ces deux « minorités criminelles », dans le cinéma américain, seront reprises par la suite, par exemple dans Kill Bill ou Django. Cependant on retrouve le génie de Tarantino dans quelques passages, notamment dans la scène finale, vue, et donc filmée, sous quatre points de vue différents ! Les personnages de Samuel L. Jackson et de De Niro sont typique du cinéma tarantinien, par leur stupidité attachante. Enfin, les composantes essentielles d’un film de Tarantino, belles voitures, musique pop et hémoglobine de partout, sont présente, rassurez-vous.

 Jackie Brown, malgré le peu d’innovation qu’il apporte à l’œuvre de Tarantino, reste malgré tout un excellent film. Le scénario, point fort du film, tient le spectateur en haleine pendant près de cent-cinquante minutes. Pam Grier, décevante quand on la compare aux autres héros du cinéaste, livre néanmoins une prestation correcte mais ce sont surtout les deux truands ridicules, Jackson et De Niro, qui tirent le film, par leur idiotie et leur ignorance. Ne parvenant pas à se hisser au niveau de Pulp Fiction et de Reservoir Dogs, le film peut décevoir certains fans de Tarantino mais reste tout de même une référence du cinéma pop américain.

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Back to you – Revolver
Californication – Red Hot Chili Peppers
Fiction – The Xx
I Love You – Woodkid
Places – Lou Doillon
Carmen – Lana Del Rey
Pirate Jet – Gorillaz
Kick The Bucket – Charlie Winston
Alabama Song – The Doors
Here comes your man – The Pixies
Voyager – Daft Punk
Delta – C2C
Baby I’m yours – Breakbot
One Day – Asaf Avidan
Moment 4 life – Nicky Minaj

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Reservoir Dogs

de Quentin Tarantino,
1992,
avec Tim Roth, Harvey Keitel, Steve Buscemi…

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Tarantino : Acte 1, Scène 1

 Retour sur le premier long-métrage de Quentin Tarantino, Reservoir Dogs, réalisé en 1992. Précédent le désormais culte Pulp Fiction, ce film, nommé à Cannes l’année de sa sortie, révélait déja le génie de ce jeune cinéaste, alors méconnu. Ce film est un des fondements de l’œuvre de Tarantino, et ce en deux sens. D’abord, il fut le premier long-métrage d’une série qui devrait en compter, au total, une dizaine (il n’a actuellement réalisé que sept films de cette « saga »). De plus, il impose un style, expose des thèmes, aujourd’hui considérés comme caractéristiques chez Quentin Tarantino.

 Reservoir Dogs conte les mésaventures d’une bande de truands suite au braquage, raté, d’un diamantaire. L’un des malfrats est en sang, un autre est paniqué, un troisième semble à la fois serein et perdu, le suivant est un sadique… Ajoutons que cette joyeuse troupe, colorée (ils portent tous des noms de couleurs pour le bon déroulement de l’opération), de gangsters est dirigé par un patron oppressif voir tyrannique. Pendant près d’une heure et demie se pose la question suivante : « Qui nous a dénoncé ? ». A coups de flashbacks, de portraits et de changements de points de vue, Quentin Tarantino fait tourner en rond le spectateur, pour finalement dénoncer la « balance » à la toute fin du long-métrage.

 Œuvre essentielle dans la filmographie du cinéaste américain, Reservoir Dogs représente parfaitement ce qu’on appelle aujourd’hui, le style tarantinien. Les gangsters, auparavant froids et austères (la trilogie du Parrain de Coppola, par exemple), évoluent désormais dans un monde pop, celui de Madonna et des fast-foods. Ce changement de décor, instigué par Tarantino et inspiré par Godard &Cie, imprègne le cinéma américain et influence encore aujourd’hui, et pas que dans les films de gangsters (Spring Breakers, drame d’Harmony Korine sorti il y a quelques mois à peine).

 Reservoir Dogs instaure également un thème récurrent dans l’œuvre de Tarantino, la violence, et le sang qui en découle. D’une rare cruauté, le premier long-métrage du cinéaste marqua par une barbarie qui put en répugner plus d’un (le film fut d’ailleurs interdit aux moins de 16 ans). Le personnage de Mr Blonde (Michael Madsen) est l’incarnation de la violence tarantienne. Psychopathe ou fou-dangereux, c’est lui qui déclenche la fusillade contre la police et ainsi fait échouer le braquage. Mais c’est surtout lors de la scène de torture d’un policier pris en otage, passage mémorable et poignant par son horreur, que Mr Blonde se dévoile. En scalpant une oreille puis en tentant d’immoler le pauvre homme, le personnage, sadique à souhait, se révèle être la personnification de la violence du cinéma tarantinien, présente dans toute son œuvre.

 Enfin, Reservoir Dogs montre le talent, prometteur à l’époque puis génial par la suite, de Quentin Tarantino. Bande originale des 70’s, contraste entre couleurs-pop, luminosité éclatante, et le noir de l’entrepôt des gangsters, dialogues d’une vulgarité quasi-poétique… le film impressionne par le style qu’il impose, remarquable et novateur. Les plans sont toujours filmés d’une main de maître, les acteurs jouent justes avec humour ou sérieux selon l’exigence de la situation… L’intrigue, extrêmement bien ficelée avec un scénario au dénouement inattendu, basée sur les flashbacks et la personnalité des gangsters, révolutionna le cinéma américain et dévoila l’étendue du génie tarantinien.

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The Place Beyond the Pines

de Derek Cianfrance,
2013,
avec Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes…

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★★★★☆

Le cauchemar américain

 The Place Beyond the Pines, et son casting hollywoodien (Gosling, Cooper, Mendes, Byrne, DeHaan…) s’inscrit dans la lignée du cinéma américain actuel. En reprenant l’ambiance sombre et misérable du Drive de Nicolas Winding Refn ou encore du Killer Joe de William Friedkin, Derek Cianfrance, à travers son dernier film, dépeint une Amérique contemporaine perdue, pauvre et désespérée.

 The Place Beyond the Pines conte, dans un premier temps, les mésaventures de Luke Glampton (R. Gosling), motard-cascadeur dans une fête foraine ambulante. Luke revient, un an après le dernier passage, dans la ville de Schenectady afin d’exécuter, encore et toujours, son numéro d’acrobate à moto. Mais il y apprend que Romina (E. Mendes), un flirt de l’année précédente, a accouché d’un enfant – son enfant. Le forain décide donc d’abandonner sa vie nomade pour subsister aux besoins de sa nouvelle famille. Mais, sans-le-sou dans une Amérique en crise, il braque une banque afin d’assumer ses nouvelles responsabilités. Puis, attiré par cet argent facile, il dévalise une seconde banque, puis d’autres… Dans la seconde partie, Derek Cianfrance raconte l’histoire d’Avery Cross (B. Cooper), après l’avoir entremêlée avec celle de Luke. Avery est un jeune flic en mal de reconnaissance sociale et qui, profitant de plusieurs affaires judiciaires, parvient à se lancer dans le monde de la politique. Enfin, la dernière partie, qui se déroule quinze ans après, nous montre la rencontre entre le fils de Luke, Jason (D. DeHaan), et AJ (E. Cohen), l’enfant d’Avery.

 The Place Beyond the Pines est avant tout un drame américain. Il reprend la trame du genre, pauvreté, famille, mort… où même les personnages stéréotypés (à première vue seulement) comme le bad-boy idéal qu’incarne Ryan Gosling ou bien le flic modèle, interprété par Bradley Cooper. Néanmoins, le film de Cianfrance se démarque vite, d’abord par sa forme, inédite et novatrice. En effet, le long-métrage est un tryptique, étalé sur une quinzaine d’années, dont les trois parties sont reliées entre elles par un thème : la recherche de la vérité face au mensonge. Les personnages sont attachants et identifiables, certains peuvent se retrouver, par exemple, dans la famille d’Avery. Mais on se rend rapidement compte que tous sont imprégnés d’une certaine ambigüité, fait rare dans le drame américain, un genre où les protagonistes sont vite répartis dans des catégories préétablies (les gentils et les méchants). On peut également remarquer une inversion des rôles plutôt originale, pour un long métrage américain catégorisé comme dramatique. Effectivement, Luke, le méchant (si l’on se permet de caricaturer), est blanc tandis que la seule véritable incarnation de la sagesse et de la gentillesse, Kofi, a la peau noire.

 Mais la principale qualité du film de Cianfrance réside la description qu’il donne de l’American way of life. Misère, drogue, crime, corruption, absence de la religion, mensonge… Tout ce que l’image habituelle des Etats-Unis ne renvoie pas est exposée dans The Place Beyond the Pines. Ces vices, que l’Amérique n’assume pas, se retrouvent aussi bien dans les foyers dit « difficiles » que dans les suburbs, ces quartiers riches où tout semble parfait. En effet, AJ, le fils d’Avery, vivant dans une ces banlieues aisées, est un junkie accro à l’extasie, au rap et à la violence. En plus de cette présence, assez surprenante, de la drogue, règne la corruption, qui dissout une partie de la police à un moment du film, ou encore les magouilles politiques, entre Avery et son père notamment. Pendant ce temps, loin des suburbs, des gens, comme l’ami garagiste de Luke, demeurent dans la misère la plus totale, dormant en caravane dans des forêts reculées. Alors que le cinéma aborde plus « facilement » la pauvreté des cités, des ghettos, il néglige souvent cette détresse, cette solitude de gens bannis par la société et ancrés dans un cercle vicieux que seule la criminalité peut résoudre. Enfin le film affiche, un peu comme le Spring Breakers d’Harmony Korine, l’errance d’une jeunesse perdue et désespérée, incarnée ici par DeHaan et Cohen.

 The Place Beyond the Pines, par son originalité que l’on pourrait presque qualifier de novatrice, se démarque, positivement, du drame américain classique. Ryan Gosling, Bradley Cooper et Dann DeHaan impressionnent par le réalisme de leurs interprétations, particulièrement réussies. Le cinéaste, Cianfrance, grâce à quelques plans d’une rare beauté, révélant ainsi un talent indéniable, livre lui un film, techniquement, impeccable. Cependant, l’histoire semble toute tracée, et c’est là le défaut de The Place Beyond the Pines. En effet, le spectateur, malgré une histoire singulière, parvient souvent à deviner la scène qui suit, ce qui peut l’agacer devant un film durant plus de deux heures. Néanmoins, ce petit bémol n’enlève rien à la qualité du film de Derek Cianfrance, parfaitement maîtrisé et troublant de réalisme.

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