Un été au ciné

#août2013

 World War Z, Pacifim Rim ou encore Wolverine… Comme chaque année, l’été nous réserve son lot de blockbusters hollywoodiens. Et ce mois de juillet n’a pas dérogé à la règle – rajoutez donc Monstres Academy et Les Schtroumpfs 2 pour les plus petits. Néanmoins, le cinéma d’auteur ne fut pas en reste ; quelques perles cinématographiques, venues de France et surtout d’ailleurs, illuminèrent ainsi les salles hexagonales. Les cinéphiles juilletistes purent, entre autres, admirer les merveilles proposées par l’Oncle Sam, tel Le Congrès, d’Ari Folman, Frances Ha, de Noam Baumbach, ou bien It felt like love, d’Eliza Hittman. Côté frenchie, pas grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n’est le drame (sélectionné à Cannes en mai) franco-tchadien de Mahamat Saleh Haroun, Grigris. A noter également, les versions restaurées de quelques chef d’œuvres du septième art : Jour de fête, de Tati, La Baie des anges, de Demy, Hiroshima, mon amour, de Resnais et même Les sept samouraïs, du japonais Kurosawa.

ciné en plein air

Qu’attendre du mois d’août ? Et bien, un peu de tout, comme chaque été finalement.

– Lone Ranger, de Gore Verbinski : Johnny Depp en cowboy indien pour Disney. Accompagné par Armie Hammer. Un Pirate des caraïbes au Far West ?

– American Nightmare, de James DeMonaco : thriller, film d’horreur ? Intrigante et séduisante, la bande-annonce vaut le coup d’œil. Le film décrira une Amérique qui tolère l’anarchie – une nuit par an.

– Elysium, de Neill Blomkamp : le réalisateur du magnifique District 9 revient avec Matt Damon et Jodie Foster. Du talent, en veux-tu, en voilà.

– Kick-Ass 2, de Jeff Wadlow : la suite des aventures du super-héros le plus cool des dernières années. Attention, ce n’est plus Vaugnh (auteur du premier Kick-Ass et de X-Men : le commencement) aux commandes.

– Michael Kohlaas, d’Arnaud des Pallières : Mads Mikkelsen, Festival de Cannes. Ces deux qualificatifs ne vous suffisent pas ? Allez donc lire le speech du film, et on verra ensuite.

– Jeune & Jolie, de François Ozon : la seule beauté de Marine Vacth devrait vous convaincre. Sinon, on se contentera de citer la filmographie de son réalisateur : Dans la maison, Potiche

– Grand Central, de Rebecca Zlotowski : la romance d’un couple, formé de Tahar Rahim et Léa Seydoux, deux des comédiens parmi les plus doués de leur génération.

La sélection pressCritik :

aout 2013

L’Inconnu du lac

Brokeback Lake

 Un film à scandales ? Assurément. L’œuvre d’Alain Guiraudie divise. La mise en scène, entre théâtralisation du cinéma et pornographie, divise les cinéphiles. Les thèmes abordés, l’homosexualité principalement, divise la société et les politiques. Récemment, les affiches de L’Inconnu du lac ont été retirées de la commune de Saint-Cloud, sur décision du maire UMP – fait politique anodin mais prouvant tout de même l’agitation entourant ce film. Mais laissons tomber l’aspect politique de l’œuvre pour nous intéresser uniquement à son contenu cinématographique. Beau mais choquant, Alain Guiraudie semble s’être inspiré du travail de Lars Von Trier, le chef de file du cinéma d’auteur artistico-pornographique. Cette démarche, utilisée par le cinéaste danois pour Antichrist notamment, vise à provoquer l’opinion publique, de manière à parler du film, ce qui attire donc plus de spectateurs. En plus d’avoir adopté une telle démarche, la promotion de l’œuvre d’Alain Guiraudie a été favorisée par le contexte sociétal – l’adoption récente de la loi pour le mariage pour tous, suivie de vives tensions.

L'INCONNU DU LAC

 Paradoxalement, malgré la divergence et la complexité autour des avis émis sur le film, le scénario de L’Inconnu du lac apparait comme relativement simple. Un été, un lieu de drague homosexuelle, un meurtre, une passion amoureuse. Certes simpliste, ce résumé reste néanmoins juste. En effet, pour cette œuvre, Alain Guiraudie a privilégié la forme au fond, la mise en scène au scénario. Un peu comme Stanley Kubrick avec 2001, Alain Guiraudie a réalisé une œuvre avant tout audio-visuelle, reléguant le scénario au second plan.

 Magnifiquement filmé, L’Inconnu du lac offre au cinéma français une véritable leçon de cadrage. Tous les plans de Guiraudie sont parfaits ; du lac aux nuages, en passant par la forêt. Même les séquences les plus banales, comme les dialogues entre Frank et Henry, se révèlent d’une rare beauté. Avec sa caméra, Guiraudie déifie la nature : il la rend harmonieuse – ainsi, ciel, terre et mer ne deviennent qu’un tout, resplendissant. Ces superbes images sont accompagnés par la bande-son la mieux appropriée, les bruits de la nature. Pas de musique, pas même de son d’ambiance, juste le vent, le crissement des pneus sur le sol, ou le bruit calme et tranquille de l’eau du lac. Cette technique, rarement employée dans le cinéma de fiction, surprend agréablement le spectateur, peu habitué à l’absence de sons musicaux. Enfin, la mise en scène de L’Inconnu du lac se démarque par son aspect théâtral. L’entrée des voitures sur le parking permet d’identifier, comme au début d’une scène de théâtre, quel personnage est présent, qui ne prendra pas part à l’action, etc. La conclusion de L’Inconnu du lac, rapide, voire brutale, fait également penser au tomber de rideau d’une pièce. Originale, audacieuse, et par-dessus tout, réussie, la mise en scène d’Alain Guiraudie séduit, à un détail près – détail qui sera développé un peu plus bas…

 Malgré son côté œuvre audio-visuelle, L’Inconnu du lac demeure néanmoins un excellent thriller, genre auquel il appartient mais duquel pourtant il se démarque. Loin du schéma policier classique (le spectateur assiste au meurtre et doit deviner l’identité du tueur), Alain Guiraudie propose une variante, annonçant d’emblée qui est le meurtrier. Encore une fois, le cinéaste préfère la forme au fond, privilégiant l’ambiance lourde et oppressante du thriller à la recherche, parfois longue et ennuyeuse, de l’identité du tueur. Ainsi, L’Inconnu du lac  nous plonge dans une atmosphère particulière. D’habitude, le tueur répugne et inspire la haine du spectateur ; ici, il ne sait plus quoi penser du meurtrier. Pourquoi ? Car le personnage principal, qui assiste au crime, s’entraîne, volontairement, dans une passion amoureuse, à la limite du masochisme quand on y réfléchit, avec cet assassin. L’attitude du héros fait donc douter le spectateur, qui ne veut plus s’avouer, comme notre protagoniste, que ce personnage est un horrible criminel. On finit par se dire que la victime s’est noyée, ou alors que le coupable n’est autre que le silure de dix mètres, rôdant dans les eaux du lacs. Alain Guiraudie fait tout pour tromper le spectateur, se servant des plans sur la voiture de la victime ou encore du personnage du policier, troublant malgré sa normalité. Finalement (SPOIL), L’Inconnu du lac se conclut par un enchaînement de meurtres, rétablissant ainsi la vérité sur le tueur et ce qu’il faut en penser. Cependant, Alain Guiraudie interroge une dernière fois le spectateur, le laissant sur une fin ouverte (très à la mode depuis le Inception de Christopher Nolan) – preuve ultime d’une grande maîtrise cinématographique…

 Mais… Mais il y a un gros « mais ». Un énorme même. Certes, L’Inconnu du lac est un excellent thriller. Certes, la mise en scène d’Alain Guiraudie frôle la perfection artistique. Certes, les comédiens sont irréprochables (avec une mention spéciale à Patrick d’Assumçao), interprétant merveilleusement leurs partitions. Mais rien ne justifiait la pornographie de ce film. Non, rien. Autant de scènes à caractère sexuelle lasse très vite. L’Inconnu du lac dure 97 minutes, dont le tiers, au moins, doit montrer une scène pornographique. Oui, pornographique car il n’y a pas d’autres mots pour qualifier ces passages récurrents. Quand une scène sexuelle est filmée en gros plan et doublée par des acteurs professionnels, on appelle ça de la pornographie. Interdite aux moins de dix-huit ans sur le net, je ne comprends pas pourquoi ce film, à caractère clairement pornographique, n’a pas été interdit également aux mineurs dans les salles de cinéma. Ces séquences, inutiles à l’avancée du scénario et dépourvues de symbolisme, sont excessives et insupportables. Peut-être Alain Guiraudie souhait-il filmer ses (nombreux, si c’est le cas) fantasmes homosexuels ? Peu importe la réponse, pour reprendre un jargon populaire : quand c’est trop, c’est trop.

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 Que nous inspire finalement L’Inconnu du lac ? D’un côté, l’œuvre d’Alain Guiraudie est exaltante, elle porte vers le haut un cinéma français talentueux mais souvent inégal. Sa mise en scène irréprochable, ses acteurs fabuleux, sa dimension théâtrale… L’Inconnu du lac a tout pour devenir un classique du septième art hexagonal – sauf qu’il concourrait dans la catégorie « pornographie d’auteur ». Cela étant, on notera cependant que c’est justement cette dimension provocatrice, choquante, qui marque les esprits, qui fait que l’on retiendra ce film dans quelques dizaines d’années. Alors, je vous le demande une nouvelle fois, que penser de L’Inconnu du lac ?

PS : «… Hot d’or #2013, catégorie Meilleur Réalisateur : Abdellatif Kechiche – La Vie d’Adèle, Marc Dorcel – Clara Morgane, portrait d’une femme libre, Nabilla Benatia – Allo, non mais allo quoi, Lars Von Trier – Nymphomaniac, Alain Guiraudie – L’Inconnu du lac… » Cliquez sur les liens suivants pour voir la sélection complète et officielle des Hot d’or #2013 :

http://www.imdb.com/title/tt2852458/
https://twitter.com/pressCritik

L’Inconnu du lac
d’Alain Guiraudie,
2013,
avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick d’Assumçao…

La fille du 14 juillet

Le fils de Mai 68

 Le cinéma l’Image de Plougastel-Daoulas (Finistère) proposait, hier soir, une séance spéciale autour du long-métrage, La fille du 14 juillet, en présence de son réalisateur, Antonin Peretjatko. Ce film se révèle être l’une des bonnes surprises du cinéma comique français, cette année. Sélectionné à Cannes lors de la quinzaine des réalisateurs, le premier long-métrage de ce jeune cinéaste a été majoritairement salué par la presse française. Revisitant le genre du burlesque, Antonin Peretjatko nous offre un film anti-crise, coloré et libertaire. Nous affirmant hier soir ne s’être référé  à aucun cinéaste en particulier, on ne peut de tout de même que constater « l’influence fantomatique » (©Peretjatko) de Godard, Tati ou encore de romanciers, tel Boris Vian. Néanmoins, en adaptant cette culture de l’après-guerre au contexte socio-économique de 2013, le réalisateur crée une œuvre nouvelle et terriblement contemporaine.

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 La contemporanéité (ce mot existe bel et bien, pas besoin de le googler pour vérifier) de ce film se voit dès la scène d’ouverture ; scène où le spectateur aura le [dé]plaisir de [re]voir Nicolas Sarkozy, suivi de François Hollande, lors des deux dernières cérémonies du 14 juillet. Cette sorte de prologue cinématographique permet d’annoncer la couleur du film. En effet, Antonin Peretjatko nous signale clairement qu’il va tourner la société française en dérision. Et quoi de mieux, pour écrire la satire de notre temps, que de se moquer de la crise ? Dans cette France fictive, Peretjatko imagine que le gouvernement, dans un élan d’austérité, décide d’avancer la rentrée d’un mois. Alors que le pays se divise en juilletistes et aoutiens, cinq amis parisiens fuient vers le sud, déterminés à partir en vacances. Parmi eux, Hector et Truquette, deux amoureux qui se cherchent, mais ne parviennent pas à se trouver.

 Incontestablement burlesque, La fille du 14 juillet, applique la maxime de ce genre : rire, tout en abordant des thèmes sérieux. C’est ici le cas, Antonin Peretjatko traite, à travers chaque gag, de problèmes plus ou moins importants. Principalement basé sur l’humour visuel, La fille du 14 juillet n’hésite néanmoins pas à recourir au comique de situation (l’arrivée de personnages improbables à des moments injustifiés) ou au comique de mots (l’humour noir du diagnostic du Dr. Placenta à son patient). Le comique de La fille du 14 juillet repose aussi sur le ridicule de certains personnages, ou de certains passages. Le frère de Charlotte, personnification du ringard, ou le Dr. Placenta, sorte de Lionel Jospin (ou de Doc Brown, selon vos références) surcocaïné, sont des exemples parfaits. Complètement loufoque, La fille du 14 juillet regorge de scènes plus dérangées les unes que les autres – le repas chez Placenta demeurant surement le passage le plus insensé du film. Mais la forme drôle et absurde de ce long-métrage ne sert en fait qu’à masquer un fond, beaucoup moins drôle celui-ci, décrivant l’irrationalité de notre existence.

 Ainsi, Antonin Peretjatko livre, à travers La fille du 14 juillet, un constat amer sur l’homme, et la société. Le cinéaste dénonce l’illogisme de notre monde, critiquant tour à tour la politique (à travers la scène d’ouverture), le fonctionnement de la société (le passage à l’agence d’emploi intérimaires) ou encore la culture (la moquerie de Kafka ou de Tchekhov). Ce long-métrage nous questionne, pourquoi  devrions-nous nous adapter à cette vie si absurde et si fausse ? Pourquoi ne pas faire comme les héros de ce film, partir en vacances et profiter de la vie, la « vraie » vie ? Sauf que ce n’est pas aussi simple. Contrairement à la majeure partie des œuvres libertaires, La fille du 14 juillet démontre qu’il n’est pas facile de « profiter de la vie ». En effet, on ne peut pas vivre d’amour et d’eau fraiche. Toujours dans le besoin, les personnages nécessitent plusieurs fois l’aide du Dr. Placenta, ou d’inconnus rencontrés sur leur route. Ils ne peuvent pas également pas compter sur tout le monde, l’un des amis trahissant à un moment le groupe par égoïsme, juste dans son intérêt. Enfin, l’amour semble, et de loin, le plus gros problème posé par cette œuvre. Hector et Truquette, pourtant promis à une superbe histoire d’amour, ne cessent de se chercher, et de se rechercher mutuellement. Comme le montre l’une des scènes centrales du film (le jeu avec les énormes bouteilles de vin), il est difficile de trouver l’équilibre dans une relation amoureuse. Finalement, la seule chose que La fille du 14 juillet nous enseigne est que nous vivons dans un monde absurde, illogique et irrationnel – et que le mieux reste encore de tomber amoureux.

 De multiples influences se ressentent à la vue du film d’Antonin Peretjatko ; des influences cinématographiques évidemment, mais aussi sociétales et culturelles. La Nouvelle Vague, un mouvement artistiques des 50’s et 60’s, semble l’une des références majeures du cinéaste. S’inspirant par exemple de Godard par rapport aux couleurs (Pierrot le Fou notamment), ou de Malle pour la mise en scène (l’adaptation de Zazie dans le métro), Antonin Peretjatko expose son admiration de cet âge d’or du cinéma français. On remarquera également l’influence d’autres réalisateurs, comme Jacques Tati ou Bertrand Blier. Mais La fille du 14 juillet se réfère également à des domaines autres que le septième art. Par exemple, le roman. Citant de nombreux auteurs (Tchekhov, Kafka), Peretjatko a l’air d’apprécier la littérature moderne, plus particulièrement le roman français d’après-guerre. Très proche de Vian (L’écume des jours) ou de Queneau (Zazie dans le métro), le cinéaste paraît s’être inspiré de l’univers de ces écrivains, et surtout de leur fantaisie. D’autre part, les spectateurs les plus attentifs auront pu apercevoir à plusieurs reprises le tableau d’Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple. En plus des influences et références culturelles, on peut également deviner l’empreinte d’un mouvement sociétal sur l’œuvre d’Antonin Peretjatko, celui de Mai 68. L’aspect libérateur et libertaire, le côté festif et heureux de La fille du 14 juillet fut caractéristique de la révolte de Mai 68.

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 Véritable film anti-crise, La fille du 14 juillet emmène le spectateur dans un monde coloré, burlesque et absurde. Chantant un hymne à la liberté et à la joie de vivre, Antonin Peretjatko n’oublie tout de même pas de critiquer amèrement l’homme, et sa société. Magistralement mis en scène, avec de nombreux procédés cinématographiques empruntés à la Nouvelle Vague, ce film apparaît comme l’une des meilleures comédies de l’année, loin devant les tristes comédies populaires qui inondent les salles françaises depuis janvier.

PS : Lionel Jospin porte plainte contre Serge Trinquecoste pour diffamation sur la voie publique. Soutenez l’ancien candidat à la présidentielle dès maintenant sur les sites suivants… :

http://www.imdb.com/title/tt2846972/
https://twitter.com/pressCritik

La fille du 14 juillet
d’Antonin Peretjatko,

2013,
avec Vimala Pons, Vincent Macaigne, Serge Trinquecoste…

Monstres Academy

Scary Monsters and Nice Spirites

 En salle depuis près d’un mois aux Etats-Unis, Monstres Academy, la dernière création des studios Pixar, déçoit le pays de l’Oncle Sam. La presse américaine, dans son ensemble, juge ce préquelle « pas très inspiré » (New York Post) et les spectateurs ne semblent pas exaltés par les nouvelles aventures de Bob&Cie. Pire encore, les recettes engendrées par le film sont loin d’attendre les sommets espérés par le studio californien – environ 230 millions de dollars en quatre semaines quand Moi, moche et méchant en récolte autant en deux semaines… En France, le contexte est différent. Les minions de Moi, moche et méchant règnent bel et bien sur le box-office hexagonal (entre deux et trois millions d’entrées) mais la concurrence hollywoodienne (World War Z qui cartonne, la sortie prochaine de Pacific Rim…) et l’arrivée de Monstres Academy affaibliront cette souveraineté. De plus, la presse française a bien accueilli la bande de Sully et les quelques critiques des spectateurs sur le net sont globalement positives.

MONSTERS UNIVERSITY

 Comme annoncé au début de cet article, Monstres Academy n’est que le préquelle du mythique Monstres&Cie, sorti en 2001. A l’époque, Pixar cherche à se diversifier, à se démarquer de Toy Story, la firme emblématique du studio américains. Après le demi-succès de 1001 pattes, Pixar invente un monde monstrueux et merveilleux, inspiré par les inquiétudes de notre quotidien (l’imprévu, le métro-boulot-dodo, la cruauté du monde du travail…). Dans ce voyage, nous étions guidés par le duo, aujourd’hui culte, de Bob et Sully, deux personnages terriblement contemporains. Monstres Academy s’attache donc à raconter le passé des deux monstres, et leur rencontre, à l’université.

 Il est bien sur extrêmement plaisant de revoir des personnages que l’on connaît, comme Bob et Sully donc mais aussi comme Léon (interprété par le grand Steeve Buscemi dans la version originale), le « vilain » de Monstres&Cie, ici transformé en intello calculateur et rancunier. Et l’apparition de nouveaux monstres, comme Art, magistralement doublé par Jamel Debbouze, ou le  professeur Knigth, petit dinosaure déguisé en scientifique, reste un véritable bonheur pour les amoureux de Pixar. L’univers, comme dans la copie originale, demeure une transcription monstrueuse de notre monde. L’université ressemble à Harvard ou Yale, l’usine des terreurs d’élites correspond à n’importe quelle usine occidentale… Mais le problème de ce Monstres Academy est que ce contexte réaliste, ici l’université, ne dérange pas, il nous fait juste rire. Le point fort de la plupart des films Pixar est de faire rire les plus petits, et de faire réfléchir les plus grands. Dans Wall-E, l’enfant voyait une histoire d’amour dans l’espace, tandis que les adultes interprétaient ce dessin animé comme une mise en garde écologique, sociétale voire existentielle. Toy Story 3 décrivait lui un monde en apparence beau et gentil, mais qui en fin de compte se révélait être un monde autoritaire, dirigé par un despote. Monstres Academy ne propose lui qu’une grosse farce, une heure et demie de gags, certes drôles, mais rien de plus. Le contexte universitaire aurait pu permettre aux studios Pixar d’aborder le problème du mal-être de la jeunesse ou d’autres problèmes relatifs aux études, mais non. Oh on parle bien des « rejetés », les amis geeks et ratés de Bob et Sully, ou de l’exclusion, puis de l’abandon social, de nos deux monstres préférés, mais ces thématiques sont bâclées et, de plus, pas forcément intéressantes.

 Monstres Academy ne paraît être qu’une commande, un produit que Disney et Pixar auraient réalisé à-la-va-vite, histoire de dire que, cet été, il y aura au moins un de leurs dessins animés sur le marché du blockbuster estival – et un concurrent à Moi, moche et méchant. Parti du principe ultra-commercial du préquelle, une méthode hollywoodienne souvent utilisée à but lucratif, Monstres Academy gâche un peu le mythique Monstres&Cie, ainsi que les géniaux studios Pixar. En perte de vitesse depuis quelques années, particulièrement depuis le magnifique Toy Story 3, les studios californiens semblent à court d’idées, alignant suites désespérantes (Cars 2, par exemple) et projets ratés (Rebelle). Monstres&Cie ne nécessitait aucune suite ou préquelle. L’œuvre originale aurait du rester telle quelle. La poursuivre sous forme de saga allait obligatoirement susciter une attente énorme chez les spectateurs du monde entier. D’autant plus que la fin du premier Monstres, triste mais fabuleuse, permettait au spectateur d’imaginer sa propre suite. Mais les studios Pixar version 2010’s s’en moquent, laissant passer leur création du statut d’œuvre à celui de bon dessin animé. Mais ce n’est pas fini, la prochaine « victime » des studios n’est autre que Le monde de Nemo, dont la variante, Le monde de Dori, est prévue pour 2015…

 N’affirmons tout de même pas que Monstres Academy est un mauvais dessin animé, il demeure un long métrage vraiment drôle, avec certaines trouvailles dignes des meilleurs films du genre. Par exemple, quelques personnages parviennent à se démarquer. Prenons Art, l’énigmatique monstre violet difforme aux propos incohérents et mystérieux. Complètement loufoque voire inquiétant, le monstre semble avoir hérité d’un passé pour le moins douteux, évoquant tour à tour un séjour en prison ou des balades nocturnes dans les égouts. On peut aussi parler de Don, quadragénaire licencié de son entreprise et qui se remet aux études. Véritable personnification du looser, le personnage finit dans les bras d’une femme… femme qui n’est autre que la mère de son meilleur ami ! Le jeune Squishy, l’ami en question, semble troublé, à la fin du film, par sa discussion avec Don – discussion mêlant amitié et inceste… Il n’y a pas que les personnages qui sortent du lot ; la « morale » de l’histoire, assez complexe pour le public visé, c’est-à-dire les enfants, se distingue de la morale classique du dessin animé. Ce classicisme vise à diviser le monde entre gentils et méchants, et à toujours faire gagner les gentils malgré la lutte des méchants. Ici, les personnages évoluent : Sully passe du méchant au gentil, Léon effectue lui le parcours inverse etc… Et puis, les gentils ne gagnent pas réellement. En effet, comptant sur la maladresse des autres, trichant par moments, Bob&Cie sont loin de la perfection éthique. Enfin, les deux étudiants, après une énième bêtise, irréversible cette fois-ci, se voient contraints de quitter l’université, exclus par leur directrice. Cependant, à force de travail et de volonté, Bob et Sully réaliseront leur rêve : devenir des terreurs d’élites.

Monstres Academy2

 Remarquable dessin animé, pitoyable Pixar, Monstres Academy laisse tout de même un gout d’inachevé au spectateur qui, contrairement à Monstres&Cie, reste sur sa faim. Timide mais néanmoins réussi, ce préquelle était-il nécessaire ? Peut-être, ou peut-être pas. En tout cas, pendant que certains se posent cette question, Moi, moche et méchant cartonne, écrasant à plat de couture les monstres de Pixar.

PS : Art ne veut pas retourner à Guantanamo. Rejoignez sa cause, et celle de Florence Cassez tant que vous y êtes :

http://www.monstres-academy.com/
http://www.imdb.com/title/tt1453405/
https://twitter.com/pressCritik

Monstres Academy
de Dan Scanlon,
2013,
avec John Goodman, Billy Crystal Steeve Buscemi…

Homeland – Saison 2

Bienvenue chez Edward Snowden

 Jeudi soir, après onze épisodes d’une angoisse et d’une nervosité propre à la série, s’est clôturé la deuxième saison d’Homeland. Diffusée sur Canal+, l’une des chaînes TV françaises références en termes de série, la deuxième saison, souvent fatale aux œuvres télévisuelles, fut un véritable succès, attirant près d’un million de téléspectateurs chaque jeudi soir devant la chaîne cryptée.  Ce n’était pourtant pas évident ; l’intrigue aurait largement pu s’arrêter à la fin de la première saison – et ainsi rentrer dans l’Histoire de la Télévision américaine. Mais, Alex Gansa et Howard Gordon, probablement intéressés par l’idée de créer une suite aux aventures terroristo-paranoïaques d’Homeland, mais surtout séduits par l’argent en jeu derrière le succès de la série, se sont lancés dans ce projet un peu fou : créer une suite à une production déjà achevée.

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 Petit rappel scénaristique pour ceux n’ayant pu suivre l’odyssée de Nick Brody (SPOIL des saisons 1&2). Brody, soldat américain engagé en Irak au début des années 2000, est laissé pour mort, tué au combat. Huit ans plus tard, lors d’un raid, le sergent Nicholas Brody est retrouvé vivant dans un vieux bâtiment d’Afghanistan ; le Marine a en fait, dans le plus grand secret, été retenu prisonnier par Al-Qaeda pendant une dizaine d’années ! Ramené au pays et acclamé en héros national, le sergent retrouve sa famille, et la vie civile. Mais plusieurs problèmes apparaissent vite : sa femme s’était recasée depuis quelques années, ses enfants ne reconnaissent plus leur père et surtout, une agent de la C.I.A., Carrie Mathison, imagine une théorie du complot ; le sergent Brody aurait été retourné par Al-Quaeda, et il préparerait un attentat terroriste contre les Etats-Unis…

 Comme dit plus haut, le dénouement de la première saison semblait avoir mis un terme à Homeland. En effet, on savait que Brody était un terroriste et qu’il préparait un attentat contre l’Amérique, Carrie Mathison a été déclarée comme folle et inapte à travailler pour la C.I.A., et la romance, aussi improbable que géniale, entre nos deux protagonistes se trouve au point mort… Mais là réside la force d’Homeland : alors qu’on croit que tout s’arrange ou s’éclaircit, un coup de théâtre intervient et l’histoire s’en trouve métamorphosée. L’équipe scénaristique d’ Homeland, Alex Gansa et Howard Gordon, à l’origine, entre autres, de X-Files et de 24 heures chrono, a de l’expérience et a déjà prouvé par le passé qu’elle était capable du meilleur… comme du pire. Cette deuxième saison débute donc dans l’inconnu, nos deux personnages paraissant complètement perdus car ils ont tout les deux échoués à accomplir leurs buts respectifs : commettre un attentat contre le vice-président pour l’un et démasquer un terroriste pour l’autre. Ainsi, l’intrigue de cette suite se base sur la carrière politique de Brody (le soldat, héros national, est courtisé par tous les politiques du pays) et le rappel, uniquement intéressé, de Carrie dans la C.I.A. (celle-ci est rappelée, car une femme iranienne, affirmant avoir des infos sur un attentat, promet de parler si elle rencontre Carrie, son unique contact américain).

Homeland

 Homeland 1.0 abordait principalement les problèmes propres à l’Amérique post-9/11 : la paranoïa des services secrets, la glorification prématurée et illégitime de l’armée et de ses soldats, les massacres commis en Irak et en Afghanistan… Mais Homeland 1.0 traitait également de thèmes touchant les sociétés occidentales en général, comme la surmédiatisation, la vision contemporaine de la famille ou encore la politique grand spectacle. Dans cette deuxième saison, Gansa et Gordon ont décidés de davantage s’intéresser au personnage de Nick Brody, et des relations qu’il noue avec sa famille, avec Carrie, ou encore avec Abu Nazir. Moins politique que la saison précédente, Homeland 2.0 a voulu se redéfinir, tout en gardant les bases qui ont assurés son succès : l’inattendu, la tension et la paranoïa généralisée. L’inattendu arrive quasiment à chaque fois, chaque épisode ayant le droit à son coup de théâtre qui relance l’intrigue, et l’intérêt, de la série. Essentiel à tout feuilleton télévisuel, le retournement de situation trouve, à travers Homeland, un véritable modèle, une référence. La tension, peut-être moins présente que dans la saison précédente, s’exprime principalement au début de l’œuvre, jusque la tuerie de Gettysburg. Entre les scènes au Liban (ep. 1,2 et 3), la tentative d’assassinat d’Abu Nazir (ep. 2) ou encore le « On a perdu Brody » des épisodes 8 et 9, le spectateur n’a tout de même pas de quoi se plaindre, la tension demeurant un fond permanent et un trait caractéristique d’Homeland. Enfin la paranoïa, quoi que moins bien réussie que dans la saison une, se personnifie non-plus dans le couple Carrie/Brody, déjà démasqué, mais dans le duo Quinn/Estes, mystérieux et inquiétant jusqu’au dénouement de cette deuxième saison.

 Néanmoins, le peu d’intensité qu’Homeland perd avec cette saison deux, il le gagne en complexité. Les affaires personnelles, comme la vie de famille difficile de Brody ou la romance impossible avec Carrie, s’accumulent et le duo Carrie/Nick n’est plus le centre de l’attention. Ainsi, la fille de Brody, Dana, en pleine crise d’adolescence, devient un des personnages majeurs de cette suite, tout comme les membres de la famille de son petit ami, les Walden, le père (le vice-président, camarade politique de Nick), la femme (partenaire et rivale de Jessica) et le fils (petit-ami de Dana), eux aussi nécessaires à l’histoire. Saul, le coéquipier de Carrie, voit lui aussi son importance narrative augmenter, comme le montre le dernier plan de cette saison, quand la caméra se focalise sur son sourire. Cet ultime passage, où l’on voit Saul prier en hébreu devant plusieurs centaines de cadavres (une scène évoquant forcément le massacre de la Shoah) vient nous rappeler qu’Homeland n’est pas qu’une simple série à gros budget. Evidemment, Homeland ne prétend pas être une série conceptuelle, une série d’auteur, mais elle ne peut non plus être assimilée aux réalisations commerciales que les chaînes américaines produisent à la pelle. C’est d’ailleurs cela qui en fait le charme, c’est ce qui distincte Homeland de 24 (production typiquement américaine) ou de Boardwalk Empire (production d’auteur américain). Alex Gansa & Howard Gordon n’ont jamais eu la prétention de rentrer dans l’Histoire de la Télévision américaine, ils voulaient juste créer une œuvre, évoquant les problèmes contemporains aux Etats-Unis, tout en restant grand public, réalisant ainsi le compromis parfait entre action et réflexion.

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 La troisième saison, actuellement en tournage, serait prévue pour la rentrée 2013. Le scénario, relancé après la disparition de nombreux personnages, l’exil forcé de Nick vers le Canada, la promotion de Carrie et l’apparition d’un nouveau chef terroriste, promet de belles choses. En attendant septembre, les spectateurs pourront jeter un œil à Hatufim, la série israélienne ayant inspiré Homeland. Diffusé il y a quelques semaines sur Arte, Hatufim s’intéresse davantage au retour du soldat dans sa famille quand Homeland privilégie lui le retour de l’individu dans la société.

PS : Vous aussi, vous ne tuez que des méchants ? Engagez-vous dans la C.I.A. de David Estes. Ci-dessous, quelques liens vers les formulaires d’inscription… :

http://www.sho.com/sho/homeland/home
http://www.imdb.com/title/tt1796960/
https://twitter.com/pressCritik

Homeland (saison 2)
d’Alex Gansa et Howard Gordon,
2013,
avec Damian Lewis, Claire Danes…

L’Attentat

Hatufim 2.0

 Adaptation d’un bestseller éponyme, sorti en 2005 et écrit par Yasmina Khadra, L’Attentat est le troisième film de Ziad Doueiri, un cinéaste libanais. Je suppose que vous n’avez jamais entendu parler de Mr. Doueiri. Pourtant, son nom est associé à de véritables chefs d’œuvres cinématographiques : Jackie Brown, Reservoir Dogs ou encore Pulp Fiction. Vous l’aurez compris, Ziad Doueiri accompagna le Quentin Tarantino des 90’s. En assistant le cinéaste américain à la caméra, Ziad apprit beaucoup et décida de se lancer dans une carrière solo en 1998, réalisant cette année là West Beyrouth, récompensé notamment lors de la quinzaine des réalisateurs à Cannes. Le second long-métrage de Doueiri, Lila a dit ça, malgré sa nomination à Sundance et Toronto (deux des plus grands festivals nord-américains), ne remporta pas le même succès que le précédent – ce qui pourrait éventuellement expliquer pourquoi le cinéaste a mis près de dix ans pour revenir sur le devant de la scène…

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 En reprenant à la lettre le roman de Yasmina Khadra, Ziad Doueiri ne prenait pas beaucoup de risque, l’histoire ayant séduit, à sa sortie en librairie, de nombreux jurys littéraires. Le film se déroule donc en Israël, un pays ravagé par les conflits religieux et identitaires. Le docteur Amine Jaafari, chirurgien reconnu dans tout le pays, mange sur la terrasse de son hôpital quand soudain une détonation lourde retentit ; une bombe vient d’exploser dans un restaurant de Tel-Aviv. Les victimes sont amenées d’urgence à l’hôpital d’Amine et le chirurgien fait tout pour sauver un maximum de personnes. Malgré les efforts de l’équipe chirurgicale, le bilan est lourd : dix-sept tués, dont onze enfants. Amine, malheureusement habitué à cette horreur quotidienne que sont les attentats terroristes, rentre chez lui le soir et parvient à s’endormir. Au milieu de la nuit, Ravid, un ami policier, l’appelle, lui demandant de le rejoindre à l’hôpital au plus vite. Persuadé qu’il s’agit d’une opération d’urgence, Amine se lève et arrive rapidement au lieu-dit. Ravid, accompagné d’un autre policier, lui annonce alors qu’on a retrouvé le corps du kamikaze et que ce dernier n’est autre que sa femme…

 L’Attentat raconte donc avant tout une histoire d’amour, celle d’Amine et de sa femme, une histoire détruite par la mort – et surtout le mensonge. Modèle d’intégration dans une société divisée, le couple formé par Amine et Silham était un couple exemplaire, appelant à la réconciliation entre les peuples juifs et arabes. C’est d’ailleurs pour cela qu’Amine ne comprend pas le geste de sa femme, qu’il refuse d’accepter dans un premier temps. En réfutant toute accusation concernant l’attentat, et ce malgré les preuves qui s’accumulent et la pression policière, Amine compromet l’avancée de l’enquête et se convainc ainsi que sa femme n’est pas la kamikaze. Cependant, un jour, il reçoit une lettre post-mortem de Silham lui indiquant clairement qu’elle fut la terroriste. Abasourdi par cette révélation, Amine perd pied, comment sa femme a-t-elle pu lui mentir pendant près de quinze ans ? Comment mais également pourquoi ? Amine n’était-il qu’un simple alibi, utilisé comme couverture, par un groupe terroriste ? La première partie du film traite ces questions, relatives à la fin d’une histoire d’amour. Amine se demande avant tout si sa femme lui jouait la comédie, si son couple vivait dans un mensonge permanent. Il s’interroge aussi par rapport à l’attitude qu’il doit adopter vis-à-vis d’elle désormais, Amine doit-il lui en vouloir ? Car, s’il est vrai qu’elle lui a menti pendant quinze ans, cela ne change en rien au fait qu’elle l’ait rendu heureux, et amoureux. Ces questions, déjà intéressantes en elle-même, sont de plus ancrées dans la réalité contemporaine, ce qui renforce la portée et la beauté du scénario.

 Cette réalité, c’est celle d’un monde instable, où tout peut basculer du jour au lendemain. C’est celle d’un monde mondialisé mais pourtant divisé par des communautarismes de plus en plus forts. C’est celle d’un monde dangereux, où la mort, lâche et illégitime, frappe l’innocent, et même l’enfant. Prenant place dans la société israélienne, probablement l’un des pays reflétant le mieux tout ces problèmes, L’Attentat avance toujours avec le souci de rester dans le réel, tout en gardant un esprit romanesque. Les scènes suivant l’attentat, la réaction suite à l’explosion, l’arrivée des victimes à l’hôpital, l’interrogatoire d’Amine, visent principalement à placer le spectateur dans un cadre réaliste, authentique. Le côté romanesque du scénario servant, du coup, à mettre le spectateur dans un état de choc. L’histoire, poignante et captivante, se divise donc en deux grandes parties : la première portant sur le mensonge, la seconde sur la recherche de la vérité. Dans cette partie, Amine essaye de découvrir, pourquoi, pour qui, et comment sa femme a agi. Ces questions l’emmènent dans la misère des quartiers palestiniens, des endroits où sa femme est adulée et saluée en tant que martyre d’une cause juste. Ces questions l’amènent aussi à changer sa vision des choses, troublant son jugement sur l’acte terroriste. Au final, Amine remet tout en cause : ce qu’il doit penser de sa femme et son histoire d’amour, de l’acte terroriste de ses moyens et de ses fins… Mais le problème est que la société également remet en cause Amine. Le personnage principal se retrouve isolé, rejeté par le peuple juif, qui l’accuse d’être le mari d’une terroriste, et par le peuple palestinien, qui le considère comme un espion d’Israël, et pire, comme un paria, loin de la réalité et de la misère arabe.

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 Pas forcément bien filmé, pas formidablement interprété, pas accompagné d’une mise en scène hollywoodienne… L’Attentat, vous l’aurez compris, n’est pas, à proprement parler, un grand film. L’Attentat tient plus du récit ; c’est une fable moderne et contemporaine, qui, au travers d’une histoire d’amour romanesque, aborde les problèmes actuels de notre monde. Loin de se préoccuper exclusivement d’un seul sujet, la romance ou l’acte terroriste par exemple, le film aborde de nombreuses questions : l’homme face au mensonge, l’homme à la recherche de la vérité, mais aussi l’homme face à la société, et à ses divisions… Rares sont les œuvres évoquant tant de sujets.

PS : Nick Brody serait-il le véritable kamikaze de L’Attentat ? Silham serait-elle derrière les attentats du 11 septembre ? Toutes les réponses aux complots terroristo-israelito-arabo-islamistes sont ici… :

http://www.imdb.com/title/tt0787442/
https://twitter.com/pressCritik

 L’Attentat (The Attack)
de Ziad Doueiri,
2013,
avec Ali Suliman, Reymonde Amsellem…

World War Z

La série Z de Marc Forster

 De nombreuses personnes croient que Brad Pitt est l’acteur hollywoodien par excellence. Pourtant, malgré son patronyme vendeur, sa belle gueule et son attitude de people accompli, quand on regarde la filmographie de Brangelina, on s’aperçoit vite que l’acteur américain n’a jamais réellement été l’enfant chéri d’Hollywood. En effet, mis à part World War Z, Brad Pitt a-t-il déjà joué dans un véritable blockbuster ? (par  blockbuster j’entends une superproduction privilégiant les dollars à l’art). Je doute sincèrement que David Fincher (Seven ou Benjamin Button), Steven Soderbergh (la saga Ocean’s) ou les frères Coen (Burn after reading), soient des réalisateurs à blockbusters. Certes, leurs œuvres sont des superproductions mais ces cinéastes recherchent la qualité avant la rentabilité. On peut éventuellement classer Troie et Mr. & Mrs. Smith dans la catégorie blockbuster. Ce qui voudrait donc dire que Brad Pitt n’a joué que dans deux ou trois blockbusters – contrairement à ce que beaucoup de gens pensent…

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 Brad Pitt constitue donc, à lui tout seul, une raison d’aller voir World War Z. Pourquoi ? Car l’acteur se trompe rarement, les projets auxquels il participe sont, la plupart du temps, des œuvres ambitieuses, et donc intéressantes. Ce World War Z, adaptation d’un best-seller de Max Brooks, semblait séduisant, sur le papier, pour Brad Pitt : le scénario offrait pour garantie le succès en librairie, c’était l’occasion de renouer avec le blockbuster et, de manière plus générale, avec le grand public… Mais l’acteur aurait peut-être du s’attarder sur la filmographie du réalisateur, Marc Forster, réalisateur du tristement célèbre Quantum of Solace, probablement l’un des pires James Bond de l’histoire de la série…

 Enfin bref. Prétendons que Brad Pitt fut obnubilé par l’histoire de World War Z – ce qui serait crédible, étant donné que c’est là le point fort du film. Le livre de Max Brooks décrit une apocalypse zombie à l’échelle mondiale (une fin du monde assez classique) et suit le parcours des Lane, une famille new-yorkaise modèle prise dans la tourmente de la fin du monde (une aventure reprise maintes et maintes fois par le genre de la science-fiction apocalyptique). Mais c’est justement en reprenant les thèmes plus classiques d’un genre que l’on arrive le mieux à s’en démarquer. D’ordinaire, les scénarios s’attachent à retracer la survie de la famille ; World War Z préfère lui, d’emblée, diviser la famille, envoyant le père à l’autre bout du monde pendant que sa femme et ses filles restent tranquillement en mer, à l’abri des zombies. On suit donc l’odyssée de Gerry qui, voguant de pays en pays, tente de trouver des explications, et une solution, au problème zombie. Ce voyage à travers le monde révèle d’ailleurs un autre point fort scénaristique de World War Z : l’internationalisation de l’apocalypse. Habituellement, les auteurs de science-fiction catastrophiste ne se préoccupent que d’un pays, en général les Etats-Unis, et n’abordent pas la situation mondiale. Chez Max Brooks, c’est tout le contraire. On voit l’avancée, les ravages de l’apocalypse, en Israël ou en Corée du Sud. Cette internationalisation permet en fait de critiquer le mauvais fonctionnement des institutions mondiales, comme l’ONU ou l’OMS.

 Mais malheureusement, ce scénario, assez complexe pour un blockbuster, est mis à mal par la caméra de Max Forster. Le cinéaste suisse a préféré l’action à la réflexion, privilégiant l’aspect grand spectacle à une réflexion approfondie sur le personnage de Gerry. Soit. Les scènes d’actions, essentielles à tout blockbuster qui se respecte, peuvent, si elles sont maîtrisées, devenir la marque d’un véritable style artistique. Mais attention ; trop d’action tue l’action – et de nombreuses créations hollywoodiennes l’ont compris trop tard.

 Ainsi, pendant près de deux heures, le spectateur assiste à un enchaînement de « scènes d’actions », toutes plus lourdes, ennuyeuses, invraisemblables que les précédentes. Un paradoxe quand on sait que l’œuvre originale de Max Brooks fut réputée pour son réalisme, sa crédibilité. En essayant de plonger son public dans une atmosphère oppressante (peu de luminosité, la peur du zombie au coin de l’escalier…), Max Forster se perd, laissant le spectateur s’endormir tellement la salle devient sombre. Les zombies auraient pu nous effrayer, et ainsi nous réveiller, mais que nenni ! Plus ridicule qu’autre chose, ces pauvres bêtes font rire quand leur rôle est d’effrayer… La première scène de ce type, dans l’immeuble, annonce déjà la lenteur et le triste spectacle auquel vous allez assister durant près de deux heures. Mais rassurez-vous, World War Z ne se déroule pas exclusivement dans l’ombre d’un hall d’immeuble ; Marc Forster alterne avec des passages en plein jour, filmé à la lumière naturelle (dans Jérusalem, par exemple). On ne trouve pas également que des scènes lentes et assommantes, le réalisateur de Quantum of Solace perdant, à de nombreuses reprises, le contrôle de sa caméra – tournant ainsi son film à la manière d’un Youtubeur en manque de sensations fortes. Ces passages, assez récurrents, constituent une véritable torture optique pour le spectateur ; premièrement car il était habitué à des scènes lentes et sombres et qu’il se retrouve subitement sous des lumières flash, accompagné d’une caméra parkinsonienne, et deuxièmement car c’est tout simplement un massacre visuel ! On ne voit plus rien, les humains se confondent avec les zombies, on en vient à confondre Gerry et sa femme, on ne sait plus qui tire sur qui… la 3D ne contribuant en rien à l’amélioration de cette boucherie visuelle. N’apportant strictement rien, elle handicape plus le spectateur qu’autre chose, lui floutant la vue et l’empêchant de voir correctement courses poursuites et autres guns-fight avec nos amis les zombies.

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 Une mise en scène à la limite du grotesque, des zombies ridicules, une caméra tremblante et un manque d’inspiration criant… Marc Forster peut se targuer d’une longue liste de qualificatifs tous plus désobligeants les uns que les autres. Heureusement pour lui, World War Z tient de Max Brooks. Le scénario, basé sur le roman de l’écrivain américain, reste, malgré cette adaptation ratée, une mine d’or pour Hollywood. Espérons simplement qu’un réalisateur, plus talentueux et plus inspiré que Marc Forster, débarque pour s’occuper de World War Z – Part 2. Brad Pitt, impeccable en Gerry, devrait rempiler pour les prochains épisodes ; il n’y a donc aucune raison de perdre espoir quand à l’avenir de World War Z.

PS : ci-dessous, quelques liens pour nous aider à virer Marc Forster :
http://www.worldwarzmovie.com/#
http://www.imdb.com/title/tt0816711/
https://twitter.com/pressCritik

 World War Z
de Marc Forster,
2013,
avec Brad Pitt, Mireille Enos…

playlist #DaftPunk

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Phoenix – Homework (1997)
Revolution 909 – Homework (1997)
Around  The World – Homework (1997)
Something about us – Discovery (2001)
Nigthvision – Discovery (2001)
Veridis Quo – Discovery (2001)
Voyager – Discovery (2001)
Superheroes – Discovery (2001)
Television rules the nation – Human After All ( 2005)
Emotion – Human After All (2005)
Make Love – Human After All (2005)
Giorgio by Moroder – Random Access Memories (2013)
Touch – Random Access Memories (2013)
Contact – Random Access Memories (2013)
Harder Better Faster Stronger Alive – Alive 2007 (2007)

PS : ci-dessous, les photos exclusives des Daft Punk sans leurs casque…
http://www.daftalive.com/
http://www.zerochan.net/Daft+Punk

La Grande Bellezza

 Servillo, il magnifico

 Dans la course à la Palme d’or, à côté des Frères Coen, de Roman Polanski ou encore d’Abdelatif Kechiche, on trouvait Paolo Sorrentino, un cinéaste italien, encore méconnu du grand public. Cinq longs-métrages, deux courts et un téléfilm. Tel était le parcours, assez désespérant, de Paolo Sorrentino – avant La Grande Bellezza. Seul son dernier film, This must be the place, un drame avec un Sean Penn néo-gothique, avait accru la renommée du réalisateur italien. Pas très bien accueilli sur la croisette, mais plutôt accepté par les critiques françaises ; j’avouerais volontiers que La Grande Bellezza me rendait perplexe. Cependant, le résumé, bizarrement vague et accrocheur, me convainc finalement.

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 D’ailleurs, comment s’y prendre pour condenser près de deux heures trente de réflexion spirituelle et morale en quelques mots ? Car ce n’est pas le scénario, l’histoire, qui prime dans La Grande Bellezza. Ce qui intéresse Paolo Sorrentino dans ce film, c’est mettre en scène, de manière esthétique et originale, la réflexion exercée par son personnage. La Grande Bellezza raconte une quête : la recherche de la Beauté, d’une certaine raison d’être. Ces questions, ces interrogations sont celles que se posent Jep Gambardella, un bel homme, journaliste renommé, écrivain insatisfait mais tout de même reconnu – en bref, l’archétype de l’élite culturelle. Néanmoins, derrière tout ce paraître et cette reconnaissance sociale, se cache un immense désespoir, ou plutôt une certaine lassitude la vie mondaine. Lui-même reconnait que son monde, sa vie est un « néant absolu ».

 Ce personnage a donc tout pour plaire ! cinématographiquement, bien sur. En effet, c’est typiquement le genre de rôle pouvant révéler, au grand  jour, l’étendue des talents d’un comédiens, aux yeux des spectateurs, mais surtout des grands cinéastes. Ainsi, Jep semble à la fois proche du réel (bourgeoisie, élite culturelle) tout en adoptant quelques traits excentriques. Alors qu’il a tout pour lui ; un charme irrésistible, la richesse, la reconnaissance sociale… Malgré tout ça, Jep paraît désabusé, dépassé par la vie. Désespéré par le néant de sa vie, il « survit » grâce aux potins entre amis, aux femmes et surtout grâce à un cynisme à la fois drôle et déstabilisant. Magnifiquement interprété, sublimé même, par Toni Servillo, le personnage de Jep fascine par son ambivalence – d’un côté, Jep séduit, par un humour amer et une classe indéniable, de l’autre, Jep nous tourmente, par les constats, terriblement vrais, qu’il livre sur la vie, le monde en général.

 Ce malaise, qu’instaurent Paolo Sorrentino et Toni Servillo, n’est pas exclusif au personnage de Jep, il nous touche, nous affecte également. La Grande Bellezza démonte, une à une, les principales raisons d’être chez l’homme : l’amitié, l’amour et Dieu. Jep, passe toutes ses nuits avec ses amis, des amis qui lui ressemblent, avec qui il partage tout depuis des années. Il sait pourtant lui-même que cette « amitié » n’en est pas vraiment une ; ces personnes ne sont là que pour vaincre l’ennui, pour oublier la dureté de la vie et la peur de la mort – une peur qui revient sans cesse au long du film, comme l’illustre la scène d’ouverture. Ce désaveu de l’amitié voit son apogée lorsque Jep, après une altercation avec une de ses amies, liste, tel un monologue, l’inutilité du paraître. Toni Servillo montre alors le néant relationnel dans lequel il vit, dans lequel tout le monde vit. Après l’amitié, Jep s’en prend à l’amour. Ce sentiment, qu’il recherche depuis toujours, personne, selon lui, ne peut en profiter. Pour le personnage de Servillo, l’amour ne serait que sexe, ou souvenir – en gros, il n’est pas. En ne donnant jamais suite à ses relations sexuelles, Jep explique qu’il faut différencier l’acte amoureux de l’amour ; ce sont deux choses différentes, même si étroitement liés. Quant au sentiment amoureux, Jep comprend finalement qu’on ne le ressent jamais sur le moment. Nous n’affirmons être amoureux que quand on se souvient, quand un évènement quelconque (dans le film, la mort) vient nous rappeler qu’un court instant, on fut amoureux. Ainsi, Jep ne réalise qu’à la fin de sa vie que son seul amour fut son amour de jeunesse, sa première expérience romantique – et bien évidemment, sur le moment, il ne le comprit pas, puisque l’amour n’est qu’un souvenir et non un sentiment. Enfin notre héros s’interroge sur Dieu qui, si il existe, devrait pouvoir répondre à nos interrogations, étant-donné sa nature toute puissante. Et bien non. La religion, et ses représentants, ne sont rien. Mélange pathétique de mensonges et d’hypocrisie. La Grande Bellezza détruit même le mythe de la Beauté, qui aurait également pu devenir une raison d’être. Paolo Sorrentino débute son film sur l’idée que nous avons aujourd’hui du beau : le luxe. Et il clôt son œuvre sur le sourire édenté d’une centenaire passant ses journées à lutter contre la pauvreté. Lequel des deux plans illustre le Beau, la véritable Beauté ? Probablement aucun – le Beau, la Bellezza, n’existe pas pour Sorrentino, pas plus que Dieu, l’amour ou l’amitié.

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 Toutes ces réflexions, intéressantes mais pouvant vite lasser le spectateur, sont heureusement accompagnés d’une mise en scène grandiose. Paolo Sorrentino nous plonge dans une traversée étrangement belle ; rêves artistico-architecturaux (Sorrentino joue sans cesse sur les portes, les murs), images de synthèses fantaisistes (la Girafe au cœur de Rome, par exemple) etc… De la même manière, mais dans un tout autre style naturellement, on retrouve la beauté cinématographique d’Only God Forgives, le dernier film de Refn, lui aussi projeté à Cannes. En effet, on est attiré, vite fasciné par la caméra du cinéaste, qui nous emmène dans un monde absurde, à la fois beau et incompréhensible. Magnifiquement porté par la prestation de Toni Servillo, La Grande Bellezza emporte le spectateur dans une Rome (un peu carte postale, il est vrai) cynique et mondaine, ou se mêlent réflexions existentielles et beauté indescriptible.

PS : une visite guidée de Rome par Jep Gambardella ? (sur Google Maps, of course)…

https://maps.google.fr/
http://www.imdb.com/title/tt2358891/
https://twitter.com/pressCritik

La Grande Belezza
de Paolo Sorrentino,
2013,
avec Toni Servillo, Carlo Verdonne…