Brokeback Lake
Un film à scandales ? Assurément. L’œuvre d’Alain Guiraudie divise. La mise en scène, entre théâtralisation du cinéma et pornographie, divise les cinéphiles. Les thèmes abordés, l’homosexualité principalement, divise la société et les politiques. Récemment, les affiches de L’Inconnu du lac ont été retirées de la commune de Saint-Cloud, sur décision du maire UMP – fait politique anodin mais prouvant tout de même l’agitation entourant ce film. Mais laissons tomber l’aspect politique de l’œuvre pour nous intéresser uniquement à son contenu cinématographique. Beau mais choquant, Alain Guiraudie semble s’être inspiré du travail de Lars Von Trier, le chef de file du cinéma d’auteur artistico-pornographique. Cette démarche, utilisée par le cinéaste danois pour Antichrist notamment, vise à provoquer l’opinion publique, de manière à parler du film, ce qui attire donc plus de spectateurs. En plus d’avoir adopté une telle démarche, la promotion de l’œuvre d’Alain Guiraudie a été favorisée par le contexte sociétal – l’adoption récente de la loi pour le mariage pour tous, suivie de vives tensions.
Paradoxalement, malgré la divergence et la complexité autour des avis émis sur le film, le scénario de L’Inconnu du lac apparait comme relativement simple. Un été, un lieu de drague homosexuelle, un meurtre, une passion amoureuse. Certes simpliste, ce résumé reste néanmoins juste. En effet, pour cette œuvre, Alain Guiraudie a privilégié la forme au fond, la mise en scène au scénario. Un peu comme Stanley Kubrick avec 2001, Alain Guiraudie a réalisé une œuvre avant tout audio-visuelle, reléguant le scénario au second plan.
Magnifiquement filmé, L’Inconnu du lac offre au cinéma français une véritable leçon de cadrage. Tous les plans de Guiraudie sont parfaits ; du lac aux nuages, en passant par la forêt. Même les séquences les plus banales, comme les dialogues entre Frank et Henry, se révèlent d’une rare beauté. Avec sa caméra, Guiraudie déifie la nature : il la rend harmonieuse – ainsi, ciel, terre et mer ne deviennent qu’un tout, resplendissant. Ces superbes images sont accompagnés par la bande-son la mieux appropriée, les bruits de la nature. Pas de musique, pas même de son d’ambiance, juste le vent, le crissement des pneus sur le sol, ou le bruit calme et tranquille de l’eau du lac. Cette technique, rarement employée dans le cinéma de fiction, surprend agréablement le spectateur, peu habitué à l’absence de sons musicaux. Enfin, la mise en scène de L’Inconnu du lac se démarque par son aspect théâtral. L’entrée des voitures sur le parking permet d’identifier, comme au début d’une scène de théâtre, quel personnage est présent, qui ne prendra pas part à l’action, etc. La conclusion de L’Inconnu du lac, rapide, voire brutale, fait également penser au tomber de rideau d’une pièce. Originale, audacieuse, et par-dessus tout, réussie, la mise en scène d’Alain Guiraudie séduit, à un détail près – détail qui sera développé un peu plus bas…
Malgré son côté œuvre audio-visuelle, L’Inconnu du lac demeure néanmoins un excellent thriller, genre auquel il appartient mais duquel pourtant il se démarque. Loin du schéma policier classique (le spectateur assiste au meurtre et doit deviner l’identité du tueur), Alain Guiraudie propose une variante, annonçant d’emblée qui est le meurtrier. Encore une fois, le cinéaste préfère la forme au fond, privilégiant l’ambiance lourde et oppressante du thriller à la recherche, parfois longue et ennuyeuse, de l’identité du tueur. Ainsi, L’Inconnu du lac nous plonge dans une atmosphère particulière. D’habitude, le tueur répugne et inspire la haine du spectateur ; ici, il ne sait plus quoi penser du meurtrier. Pourquoi ? Car le personnage principal, qui assiste au crime, s’entraîne, volontairement, dans une passion amoureuse, à la limite du masochisme quand on y réfléchit, avec cet assassin. L’attitude du héros fait donc douter le spectateur, qui ne veut plus s’avouer, comme notre protagoniste, que ce personnage est un horrible criminel. On finit par se dire que la victime s’est noyée, ou alors que le coupable n’est autre que le silure de dix mètres, rôdant dans les eaux du lacs. Alain Guiraudie fait tout pour tromper le spectateur, se servant des plans sur la voiture de la victime ou encore du personnage du policier, troublant malgré sa normalité. Finalement (SPOIL), L’Inconnu du lac se conclut par un enchaînement de meurtres, rétablissant ainsi la vérité sur le tueur et ce qu’il faut en penser. Cependant, Alain Guiraudie interroge une dernière fois le spectateur, le laissant sur une fin ouverte (très à la mode depuis le Inception de Christopher Nolan) – preuve ultime d’une grande maîtrise cinématographique…
Mais… Mais il y a un gros « mais ». Un énorme même. Certes, L’Inconnu du lac est un excellent thriller. Certes, la mise en scène d’Alain Guiraudie frôle la perfection artistique. Certes, les comédiens sont irréprochables (avec une mention spéciale à Patrick d’Assumçao), interprétant merveilleusement leurs partitions. Mais rien ne justifiait la pornographie de ce film. Non, rien. Autant de scènes à caractère sexuelle lasse très vite. L’Inconnu du lac dure 97 minutes, dont le tiers, au moins, doit montrer une scène pornographique. Oui, pornographique car il n’y a pas d’autres mots pour qualifier ces passages récurrents. Quand une scène sexuelle est filmée en gros plan et doublée par des acteurs professionnels, on appelle ça de la pornographie. Interdite aux moins de dix-huit ans sur le net, je ne comprends pas pourquoi ce film, à caractère clairement pornographique, n’a pas été interdit également aux mineurs dans les salles de cinéma. Ces séquences, inutiles à l’avancée du scénario et dépourvues de symbolisme, sont excessives et insupportables. Peut-être Alain Guiraudie souhait-il filmer ses (nombreux, si c’est le cas) fantasmes homosexuels ? Peu importe la réponse, pour reprendre un jargon populaire : quand c’est trop, c’est trop.
Que nous inspire finalement L’Inconnu du lac ? D’un côté, l’œuvre d’Alain Guiraudie est exaltante, elle porte vers le haut un cinéma français talentueux mais souvent inégal. Sa mise en scène irréprochable, ses acteurs fabuleux, sa dimension théâtrale… L’Inconnu du lac a tout pour devenir un classique du septième art hexagonal – sauf qu’il concourrait dans la catégorie « pornographie d’auteur ». Cela étant, on notera cependant que c’est justement cette dimension provocatrice, choquante, qui marque les esprits, qui fait que l’on retiendra ce film dans quelques dizaines d’années. Alors, je vous le demande une nouvelle fois, que penser de L’Inconnu du lac ?
PS : «… Hot d’or #2013, catégorie Meilleur Réalisateur : Abdellatif Kechiche – La Vie d’Adèle, Marc Dorcel – Clara Morgane, portrait d’une femme libre, Nabilla Benatia – Allo, non mais allo quoi, Lars Von Trier – Nymphomaniac, Alain Guiraudie – L’Inconnu du lac… » Cliquez sur les liens suivants pour voir la sélection complète et officielle des Hot d’or #2013 :
http://www.imdb.com/title/tt2852458/
https://twitter.com/pressCritik
L’Inconnu du lac
d’Alain Guiraudie,
2013,
avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick d’Assumçao…